Après notre petite semaine passée à Tokyo, dans cette ville sans fin au charme fou, nous amerrissons à Naoshima, mini île de la mer intérieure Seto de 7 km2, pour une mission workaway de 2 semaines qui finalement en a duré presque 3. Nous sommes arrivé-e-s là attiré-e-s par la possibilité de vivre et travailler avec des japonais-e-s (sans dépenser d’argent, soyons honnêtes) et par le côté arty de la région.

Iwao-San et les volontaires

Iwao-San (san = marque de respect à ajouter après le nom de famille de la personne - mais Iwao-san se faisait appeler par son prénom) était notre hôte japonais, il a 75 ans, tient un café-restaurant dans le village de Honmura et est originaire de Shodoshima, une île voisine.

Son âge avancé n’est pas un frein à ses ambitions ; il déborde d’idées pour développer son projet. Il veut créer un magasin d’antiquités dans lequel il vendrait des kimonos d’occasion, des poteries et autres objets issus de l’artisanat japonais. Il a aussi l’idée de construire un musée afin d’exposer ses belles pièces et d’organiser des cours de cuisine et autres workshops.

Il n’a cependant pas été évident d’approcher la bête. Lors du premier service (30 minutes à peine après notre arrivée sur l’île) et du premier repas, il ne nous a même pas adressé la parole ; les autres volontaires se chargeant de nous briefer sur le job à faire. Pendant nos 3 semaines avec lui, il ne nous a jamais demandé ce que que nous faisions dans la vie, où nous habitions, etc. Ce qui est très étonnant pour quelqu’un qui dit proposer des missions workaway pour pouvoir découvrir des cultures et échanger avec des gens du monde entier… D’autant plus que lorsque nous sommes arrivé-e-s, 3 autres volontaires très apprécié-e-s d’Iwao-san étaient présent-e-s. Il s’agissait d’un couple anglo-allemand qui bossait d’arrache pied sans prendre de jour de repos et d’un anglais ; les 3 étaient très sympathiques, drôles et intéressants. Après le départ de ces volontaires, Iwao-san est devenu un peu plus agréable avec nous et nous a même félicité du boulot que nous avons accompli sur son terrain (nous avons débarrassé, débroussaillé et organisé ce jardin qui ne ressemblait à rien au début de notre séjour). Une fois apprivoisé, nous avons finalement passé de bons moments en sa compagnie ; notamment lors des diners. Cela nous a permis de connaitre un peu mieux son parcours de vie, d’échanger sur son pays et son île Shodoshima adorée.

En plus des moments d’échange, les dîners nous ont surtout permis de très bien manger ! Les déjeuners étaient souvent simples et composés d’un seul plat alors que les repas du soir étaient souvent majestueux (tempuras, poissons, okonomiaki, soupes miso revisitées, salades diverses et, bien sûr, riz…). Nous avons eu un bel aperçu de la cuisine locale, d’autant plus que les dîners étaient toujours différents ; pour être honnête, c’était un peu pour cette raison que nous avions choisi de faire un volontariat dans un restaurant… Mission accomplie !

Nous avons également passé une semaine avec Mori-San, un copain de notre hôte qui vient l’aider régulièrement au café. Son aide était plutôt inutile mais sa compagnie était très agréable. Au contraire d’Iwao-san, il était très curieux et toujours prêt à nous expliquer l’histoire, les coutumes, les problématiques de son pays (d’un point de vue positif cependant, jamais de critique sur son pays). L’éventail des discussions était très vaste, allant du fonctionnement des Yakusa aux washlet (les fameuses toilettes modernes japonais) en passant par l’architecture traditionnelle. Pendant cette semaine là, nous avons eu de chouettes conversations au moment du dîner avec lui et Karen, une volontaire mexicaine ; nous avons appris beaucoup sur le Japon et le Mexique.

Certain-e-s des autres volontaires rencontré-e-s étaient sympa mais rien de fou à signaler hormis un couple de québécois dégoulinant d’égocentrisme resté une semaine que nous étions heureux de voir partir…

Le boulot

Nous servions au café pour le déjeuner et le dîner. Nous nous occupions de l’accueil des client-e-s, de la préparation des plats (hormis de la cuisson qui était réalisée par Iwao-san) et bien sûr de la vaisselle et du nettoyage. En fait, nous faisions à peu prêt tout, même le relationnel avec les client-e-s (car Iwao-san restait tout le temps devant ses fourneaux) - on a d’ailleurs rencontré pas mal de personnes intéressantes dans ce cadre. Nous devions aussi nous occuper de la liste des courses car Iwao-san regardait assez peu ce qu’il y avait dans ses frigos et congélateurs… D’ailleurs, il était un peu navrant de voir le nombre de produits congelés et pré-cuisinés qui étaient utilisés (pour sa défense, il habite sur une petite île où il ne peut pas tout trouver).
En parallèle de ce job, nous avions pour missions d’organiser la création du magasin d’antiquité, de tuiler les nouveaux-elles volontaires à leur arrivée et également d’arranger la « villa des volontaires » (Iwao-san ayant récemment acheté une maison pour accueillir les volontaires qui a sérieusement besoin de travaux-nettoyage !). Pendant la présence des québecois-e-s, nous avons profité du surnombre au café (nous étions 6 volontaires à cette période) pour travailler dans le jardin (et donc s’éloigner des énergumènes) : désherber principalement, remettre sur pied le potager, ranger tout le bordel qui trainait partout, monter des tentes (pour les démonter quelques jours après à cause du typhon qui arrivait)…

Le boulot était plutôt agréable car varié et sans trop de pression, même si quelques commandes nous ont un peu fait courir. La principale difficulté a été de se faire au management à la japonaise (= sans mots). Vu de l’extérieur, la communication muette japonaise participe à cette atmosphère paisible ; nous avons l’impression que le système est parfaitement huilé, que tout fonctionne sans heurt. Mais lorsqu’on y est confronté (dans le travail notamment), notre caractère d’occidentaux latins a du mal à appréhender ce fonctionnement et cela crée parfois de la frustration. Les japonais-e-s sont moins aptes que nous à parler et nous sommes moins aptes qu’eux-elles à écouter, ressentir. Je pense d’ailleurs que la frustration est présente dans les 2 camps ; la différence est que nous râlons alors qu’ils-elles développent un ulcère… Par exemple, Iwao-san ne nous a jamais dit ce qu’il voulait que l’on fasse et ne nous expliquait pas comment le faire. Au lieu de nous dire ou demander les choses directement, ils (Iwao-san et Mori-san) insinuaient des choses et nous devions décrypter (du genre « tu sais, c’est compliqué pour Iwao-san de payer les factures d’électricité, il y a beaucoup de charges quand tu tiens un restaurant » = « j’ai vu que quelqu’un avait laissé la lumière allumée, il faudrait penser à l’éteindre »). Pas simple donc de se comprendre, surtout dans ce genre de relations qui ne durent que quelques semaines. D’autant plus que nous, français-e-s, souffrons du préjugé incontestable que nous sommes fainéant-e-s…

Le travail a donc été une excellente manière d’approfondir l’écart entre nos cultures et de se rendre compte des aspects positifs et négatifs des deux bords.
Il est clair qu’intégrer le milieu professionnel japonais ne doit pas être une mince affaire. Le Japon, souffrant d’un vieillissement de sa population, sera probablement contraint d’ouvrir ses portes à de jeunes étranger-e-s. On se demande comment la société japonaise intégrera les futur-e-s immigrant-e-s dont elle a besoin : parlera-t-ton ici d’assimilation ou d’enrichissement par la mixité ? De communautarisme ou d’unité, de cohésion ? De guerre ou d’évolution des civilisations ?

L’île

Ici, il est surtout question d’art contemporain. La destination est très prisée des touristes japonais, coréens et occidentaux en général. Ce que le-la touriste ne voit pas est que la moitié nord de l’île est occupée par une industrie qui semble minière. Partie pas très reluisante, donc nous n’y avons que très peu mis les pieds. La zone que nous fréquentions était minuscule ; l’île se traversant en 10 minutes de vélo, nous avons parcouru la partie non-industrielle de fond en comble.

Le climat très humide de la région (du moins en ce début d’automne) rend la nature très abondante et dense. Ajout de Bana qui a été la seule ciblée par ce fléau : les moustiques sont donc au paradis sur cette île. Les panoramas y sont splendides : les reliefs habillés de forêt d’un vert profond plongent dans la mer intérieure Seto et les montagnes des îles voisines sont en arrière plan.

Les oeuvres d’art sont dans des musées ou éparpillées dans la nature ou prennent la forme d’habitation (art houses : maisons japonaises traditionnelles ayant un siècle et étant re-designée par des archi et artistes japonais-e-s).
Nous avons vu une bonne partie des oeuvres ; celle qui nous a principalement marqué étant le Chichu Museum. C’était la première fois que nous visitions un musée avec une telle cohésion entre l’architecture, les oeuvres et l’environnement naturel (attention, on ne dit pas ça dans le sens « respectueux de l’environnement », il a bien fallu faire péter la montagne pour y couler tout ce béton…). Ce musée a été conçu par Tadao Ando, starchitecte japonais qui a grandement participé à la re-dynamisation de cette île en signant la plupart des nouveaux bâtiments emblématiques. Le musée prend une forme démesurée pour les « seulement » 9 oeuvres présentées mais il s’agit bien là de la dixième pièce liant l’ensemble. Nous avons passé 2h30 à contempler les oeuvres, le paysage et errer dans les zones transitoires (circulations, patios, jardins intérieurs).



Une salle, impressionnante de simplicité et de justesse, est destinée à recevoir 5 tableaux de Monet. On doit se déchausser avant d’y entrer et enfiler les classiques chaussons japonais, toutes les parois sont d’un blanc éclatant (avec marbre au sol, s’il vous plaît !), l’éclairage naturel est diffusé par une installation au plafond et les oeuvres accrochées aux murs nous explosent aux yeux. Emotions garanties !

Autre lieu fabuleux : le bain public (sento) de l’île, à mi-chemin entre musée et bain. Il a juste un bassin et des robinets/douchettes de chaque côté mais sa déco est superbe : fresques sur céramique, photos anciennes dans le fond du bassin, patio rempli de plantes, sculpture d’un éléphant sur le mur séparant la partie des femmes de celle des hommes. Bana a développé une passion pour les sento depuis notre premier bain à Tokyo : c’est fascinant de voir les japonais-e-s se laver minutieusement chaque recoin du corps pendant un quart d’heure pour pouvoir rentrer propre dans le bain et de les voir arriver avec tout leur équipement (gel douche, shampoing, gant, peigne, petite serviette, grande serviette…) ; fascinant de voir qu’un acte du quotidien, anodin pour nous, constitue une part importante de la culture japonaise.




En bref, pour ceux qui ont abandonné la lecture au milieu de ce roman, il était agréable de se poser sur cette micro-île pendant presque 3 semaines, connaître un quotidien japonais, avoir ses habitudes et découvrir cette fascinante culture.