Les temps « morts », propices au repos, à la réflexion et à la digestion des expériences vécues nous ayant manqués, cela fait un certain temps que nous n’avons pas écrit de petits ou grands récits de nos aventures.

Des paysages splendides


Dès les premiers instants dans l’état Kayin (ou Karen), nous avons été émerveillé-e-s par la beauté des paysages : les alentours de Hpa-an, la rivière, les monts karstiques, les cocotiers et bananiers, les rizières. Cette impression s’est réitérée à chaque fois que nous nous sommes éloigné-e-s des zones urbaines. Voilà une petite description des lieux remarquables :
  • Les paysages agricoles des alentours du lac Inlé, de Pindaya, de Kyaukme : plantations de piments, de thé, de bananiers, de tomates, de céréales, de riz, de sésame, de cocotiers et d’autres légumes en tout genre. Le patchwork des petites cultures sur un sol parfois valloné (dans le nord) rend l’ensemble magnifique. Ici, la main humaine ne s’est pas encore faite coupée par le tracteur, la moisseuse, le moto-culteur ou autre engin bruyant ennemi du silence et du chant des oiseaux. Tout le travail se fait donc à la main et les boeufs sont ici toujours utilisés en attendant l’arrivée des drôles de camions chinois. En revanche, le pays n’échappe pas à l’utilisation de nos amis les pesticides et, à en croire les publicités pour les semences aux doux noms du genre « MK 251 », de nos autres amis les OGM. Nous nous demandons bien comment va évoluer ce monde agricole quand les machines investiront les champs, et surtout comment vont s’en sortir toutes ces petites mains qui oeuvrent pour fournir les étals des marchés.
  • Lac Inlé : Ouh qu’il est beau ! Des villages flottants, des cultures flottantes, des jacinthes d’eau, des reliefs montagneux alentours et des gens souriants quand on sort du circuit presque imposé au touriste. On s’y est régalé, notamment le jour où nous l’avons traversé du nord au sud pour rejoindre la ville de Loikaw. 
  • Bagan : Avec Inlé, un autre lieu ultra-touristique du Myanmar, mais dont la magie n’a pas quitté les lieux. Nous avons apprécié nous perdre sur les chemins sableux sur notre mobylette électrique (moyen de locomotion par excellence des touristes ici) pour découvrir des édifices vieux de 800 à 1000 ans. Les milliers de temples éparpillés dans la végétation se révélant lorsque nous montions (voire escaladions) sur leurs terrasses avec notre copain Antoine. La mode ici est la recherche du spot parfait pour admirer levers et couchers de soleil ; c’est cliché, mais les lueurs orangées des aubes et crépuscules faisant ressortir la briques des constructions, cette activité nous magnifiait à chaque fois.
  • Réserve naturelle de Meinmahla Kyun : grâce à Mathieu et Roquette, fameux couple spécialisé en ornithologie, nous avons été tenté-e-s par la découverte de cette réserve naturelle au sud de Yangon. Nous avons passé 3 superbes journées en compagnie d’un ranger passionné et ultra-motivé à naviguer sur les cours d’eau dans la mangrove pour rechercher de beaux oiseaux et autres bébettes à observer. Les plus fortes sensations furent vécues lors des « chasses » aux crocos et notamment lorsque le ranger attrapa dans l’eau, à la main, un bébé croco de 2-3 mois pour nous le montrer avant de le relâcher !


La vie des villes et des villages

  • Dans les campagnes, les maisons sont faites principalement de bois pour la structure, de bambou tressé pour les murs et de feuilles de palmiers ou bananiers pour le toit. Chaque maison et commerce possède son double portrait : celui du général Aung San, libérateur du pays, et de sa fille Aung San Suu Kyi, ancienne figure de proue de l’opposition qui aujourd’hui est plus ou moins devenue complice des actions de l’armée, en tant que Conseillère spéciale de l’État. On rencontre aussi dans chaque ville et village une antenne de la NLD, National League for Democracy, le parti des deux idoles birmanes citées précédemment.
  • Les villages concentrent leur activité autour du marché dans lequel on trouve tout un tas de marchands spécialisés en légumes, viandes, poissons, épices, vêtements, médecine, quincaillerie, ustensiles de maison, etc. Tout s’y trouve. Une multitude de gargotes permettent aux gens de manger un bout assis sur des petits tabourets. On adorait déjeuner et diner dans ces stands de rue où la cuisine était très variée, très bon marché et souvent excellente (mais mettait nos intestins à rude épreuve). Contrairement à ce que nous avions entendu sur la cuisine birmane, nous l’avons trouvée généralement bonne bien que souvent grasse - et le végé était quasiment la norme. Les bases sont souvent les mêmes (riz, pâtes ou soupes) mais les assemblages varient en fonction de l’appartenance ethnique de la cuisinière (135 groupes ethniques sont référencés au Myanmar !). 
  • L’autre source de vie des villages est l’école. Les zones rurales étant encore très dynamiques, les jeunes y restent et font des enfants (à priori pas d’IVG ici, M. Fillon !). L’enseignement élémentaire étant gratuit (mais pas obligatoire) et dispensé sur place, les villages que nous avons visités disposaient tous d’une école grouillant de rejetons en longyi vert et chemise blanche (l’uniforme en vigueur). Nous avons appris par une institutrice que la technique d’enseignement était basée sur la mémorisation et récitation « par coeur » des leçons. Outre le fait que celle-ci soit critiquable et critiquée, cela donne l’impression qu'un concert « a cappella » est donné dans le village ; en effet, les dizaines d’écolier-e-s présent-e-s dans les salles parfois minuscules aux portes et volets ouverts (en Birmanie, il n’y a pas de fenêtre) récitent en choeur et à tue-tête leurs leçons.
  • Les birman-e-s semblent travailler en permanence, et rudement, mais nous avons tout de même pu observer quelques scènes de loisirs. Dans les villes comme dans les villages, des hommes de tout âge jouent en équipe, aux pieds, avec une petite balle tressée en bambou - un sport assez athlétique ! On les voyait aussi jouer à des jeux « maison » avec des pierres ou des capsules de bouteilles. Plus rarement, nous avons aperçu des hommes jouant au billard. Vous l’aurez compris à la récurrence du mot « homme », les loisirs ne semblent pas être destinés à l’autre moitié de la population qui s’occupent des bambins, de la maison, de la lessive dans les rivières, des commerces, des champs, des gargotes de nourriture, etc. - bref, elles sont tellement actives qu’elles n’ont probablement pas de temps à consacrer aux loisirs.
  • L’artisanat est également très dynamique ici ; nous avons l’impression que les birman-e-s peuvent tout faire eux-mêmes. Nous avons croisé des forgeron-couteliers, des scieurs (à la scie manuelle), des couturier-e-s, des menuisiers, des mécaniciens, des tisseuses, un fabricant de fusil, etc.
  • Les routes et rues sont des chemins de terre. A ce propos, l'utilisation des motos, voitures et camions se popularisant, des routes asphaltées sont en construction partout où nous avons été. Ces dernières étant souvent faites en plein cagnard par les villageois-es (principalement des femmes, parfois avec un bébé dans le dos) eux-elles mêmes avec des techniques très artisanales (broyages des roches à la masse, criblage manuel et dépose du bitume avec un sceau percé !); tout ça en tong, s’il vous plait. Vu de l’extérieur, cela ressemble à du travail forcé. Un guide nous a expliqué que dans certains cas, si les gens du coin veulent une route, ils doivent la faire eux-mêmes - ce qui est étrange, c’est que seulement une partie des villageois-es s’attelent à la tâche alors que ces routes servent à tout-e-s et sont principalement défoncées par les gros camions remplis de marchandises chinoises diverses.

"Myanmar people"


N’ayant pas eu l’opportunité de faire une mission de volontariat ici, notre contact avec la population a été très limité. Nous n’avons pu avoir qu’un aperçu superficiel de la société birmane et c’est bien le manque que nous avons ressenti à l’issu de notre passage en Birmanie.
  • On dit des birmans qu’ils sont souriants, c’est vrai. On distinguera cependant le sourire qui précède une formule toute faite du genre « where are you go, my friend ? » de celui qui cherche à nous vendre choses ou services en tout genre et le sourire plus spontané des enfants et personnes que nous avons croisés lors de promenades. Dans le deuxième cas, nous avons par exemple été invité-e-s à quelques reprises à entrer dans la maison pour échanger quelques mots, un paysan nous a également montré ses cultures alors que nous marchions près de son champ, un autre nous a offert des bananes de sa production, une famille musulmane nous a invité à partager un thé et des pâtisseries, etc.
  • Les gens ici revêtent presque tous un longyi autour de la taille ; il s’agit d’une pièce de tissu que l’on noue à la taille et qui couvre les jambes jusqu’aux chevilles. La forme est identique pour hommes et femmes mais le noeud et le motif dépendent du genre de la personne qui le porte. Les enfants revêtent tous des longyi de couleur verte pour se rendre à l’école. Les femmes et parfois les enfants recouvrent leur visage d’une couche de tanakha qui est une sorte de résidu provenant d’un morceau de bois et qui sert (à priori) à protéger la peau du soleil.
  • Une bonne part des hommes et quelques femmes mâchent très fréquemment du Kun Ja (ou bétel) qui se compose de chaux, de noix d'arec, de tabac, d’épices, entourés d’une feuille de palmier fraiche. Le tout aurait des propriétés énergisantes et semble très addictif puisque les chauffeurs de camion peuvent en mâcher jusqu’à 100 par jour (ce qui revient plus cher que de se nourrir) ! Le revers à supporter pour le mâcheur est que cela rend la bouche rouge, les dents en piteux état, et fait saliver un maximum. Du coup, on voit sans arrêt des birmans cracher du liquide rouge qui imprègne même le goudron (au point qu’il y ait une signalisation « interdit de cracher » à la frontière de Mae Sot avec la Thaïlande). On a essayé, ce n’est pas si mauvais mais le résidu qui reste dans la bouche est plutôt dégoutant. Pour satisfaire les besoins des mastiqueurs-euses, on voit des cahutes partout dans la ville et au bord des routes qui en fabriquent et vendent.


Une expérience de voyage mitigée


On en vient maintenant à la partie qui décrit ce qui nous a moins plu, ce qui nous a frustré ou manqué pendant ce séjour. Tout d’abord, il faut dire que ce pays était un incontournable pour nous. Nous étions attiré-e-s sans doute par le fait que cela soit une nouvelle démocratie ouverte récemment au reste du monde ; cela sous-entend que le le pays aurait gardé un coté « authentique » ou « pur » (même si ces notions sont discutables). De plus, plusieurs personnes de notre entourage y avait vécu de belle expériences et disaient que c’était « LE » pays d’Asie du sud-est. Tout ces pré-sentiments ont certainement joué un grand rôle dans nos frustrations.
  • Ce que nous avons trouvé difficile est principalement de ne pas pouvoir circuler librement dans le pays : nous pouvons comprendre que des zones restent interdites aux touristes (souvent pour des raisons de conflits entre armées ethniques et gouvernement ou entre ethnies) mais même dans les zones accessibles, nous devions souvent rester sur un itinéraire fait pour le-la touriste où tout est fait pour éviter la rencontre avec l'autochtone. Il était toujours très difficile d’obtenir des informations aussi simples que « est qu’il existe un bus public? » « quel est le prix ?» ; nous étions tout le temps à la merci de birman-e-s pseudo-anglophones qui voulaient nous vendre leurs services. Les birmans ayant compris le fort potentiel du tourisme pour leur économie, ceux qui baragouinent un peu l’anglais sont les rois et se placent en intermédiaire entre nous et les gens qui délivrent un service. La règle étant toujours d’avoir plusieurs intermédiaires qui prennent chacun leur commission en multipliant les prix parfois par 2 ou 3. Bref, lorsqu’on ne veut pas suivre le circuit en alignant les kyats aveuglément, c’est un peu fatiguant et cela nous a effectivement fatigué… Le coté pervers de ce fonctionnement est qu'il nous a rendu méfiant ; du coup, à chaque fois qu’on obtenait une information ou un prix, on voulait le discuter sans que cela soit toujours justifié.
  • Un autre point agaçant était de devoir payer une taxe au gouvernement pour l’accès à certains sites. Vu la manière dont ces sites sont protégés (notamment les temples de Bagan rafistolés à la va vite), on soupçonne que cet argent passe directement dans les caisses de la junte sans servir à la préservation des sites.
  • Et puis les conditions matérielles nous ont fatigués : impossible de cuisiner soit-mêmes, hôtels ou hostels miteux, bus de nuit arrivant à destination à 5h du matin, gare de bus à 5km de la ville pour te forcer à prendre un taxi, problèmes d’hygiène entrainant des problèmes de santé pour nos petits corps fragiles, etc.

Une dictature militaire précédée d’une occupation coloniale en passant par une invasion japonaise reste un combo catastrophique qui marque le peuple et le pays. Il est impressionnant de voir à quel point ces décennies d’oppression ont rendu le pays inconfortable pour le corps et l’esprit des birman-e-s (de notre point de vue, toujours) : pas d’accès à l’eau, des infrastructures en piteux état, un accaparement des richesses, des conditions de travail désastreuses, des enfants qui travaillent dès 8 ans (bonne surprise que d’être servis par des enfants de l’âge de vos nièces…), etc. En revanche, il est indéniable que ce climat crée une forte capacité de débrouille chez la population. Le pays étant plutôt fermé aux échanges commerciaux, les birman-e-s savent tout faire localement avec très peu de moyens.

Bref, il est indéniable que cette étape a été riche en découvertes de paysages et de cultures mais elle nous a également questionné sur notre position de touriste occidental en visite dans un pays à l’équilibre démocratique instable et aux conflits ethniques interminables. Ces 7 semaines nous auront un peu fatigué mentalement et physiquement.